• Melon de Bourgogne : l’inclassable du vignoble nantais sous la loupe

    24 août 2025

Un cépage modeste… qui cache bien son jeu

Derrière le nom "Melon de Bourgogne", il y a toute une histoire de hasard, d’exil, et d’adaptation. Ce cépage, qu’on appelle tout simplement "melon" entre vignerons, n’aurait jamais dû trouver refuge aussi loin de ses terres d’origine. Qu’on le veuille ou non, on ne peut pas parler des caractéristiques agronomiques du Melon de Bourgogne sans raconter un peu de son enfance. Rejeté de Bourgogne après le terrible hiver de 1709 et poussé dans les bras du Pays Nantais, il s’y est enraciné pour devenir, aujourd’hui, l’épine dorsale de nos appellations Muscadet.

On lui donne bien peu d’allure : il n’a ni les grappes opulentes du Chenin, ni l’arôme explosif d’un Sauvignon. Mais en cave comme à la vigne, tout se joue dans les détails, la discrétion, la capacité d’adaptation – et ça, les vieilles familles du Pallet l’ont appris à leur dépens.

Où prend-il racine ? L’importance des sols pour le Melon

Pour comprendre tout ce que le Melon peut livrer comme qualités – ou ses faiblesses – il faut descendre à la terre, littéralement. Le Melon de Bourgogne se plaît sur nos coteaux nantais pour une raison simple : ici, le sous-sol est majoritairement composé de roches magmatiques et métamorphiques très anciennes.

  • Schistes, gneiss, amphibolites, granites : ces noms résonnent comme des vieilles chansons d’école mais déterminent la vie du cépage. Sur schistes, il donne des vins tendus, nerveux ; sur gneiss, plus de largeur et de gras ; l’amphibolite, quant à elle, offre de la finesse, de l’élégance… et souvent une précocité bienvenue quand l’automne s’annonce pluvieux.
  • PH du sol : Il préfère les sols acides à légèrement neutres (pH de 5,5 à 6,5). Des marges étroites, qui expliquent en partie sa diversité de style d’un clos à l’autre.
  • Drainage : Les racines du Melon craignent le blocage hydraulique ; il déteste patauger dans un sol compact. C'est aussi pourquoi ces parcelles en coteau, avec leurs galets et fissures naturelles, font la différence à la vendange.

Ce n’est pas juste une question de terroir pour briller dans une brochure. La tolérance du Melon à l’humidité reste assez moyenne : s’il a permis d’assainir certains bas-fonds jadis trop humides, il reste souvent sensible aux excès d’eau, notamment à la sortie de l’hiver.

Ce que la vigne réclame : cycle végétatif, climat et exigences agronomiques

Le Melon de Bourgogne est un cépage à débourrement moyen (autour de la 2e quinzaine d’avril chez nous) et à maturation généralement précoce à moyenne, selon les expositions. S'il démarre ni le premier, ni le dernier, il est souvent à la vendange dès la première quinzaine de septembre, parfois plus tôt sur amphiblolite ou granite.

  • Besoin en chaleur : Indice de Huglin moyen-bas (1400-1600), ce qui le rend capable de mûrir même les années fraîches.
  • Ensoleillement : Il valorise très bien les expositions sud ou sud-est, essentielles pour aider à sécher après les rosées du matin et diminuer la pression des maladies.
  • Besoin en eau : Relativement faible une fois installé, car il explore en profondeur. Mais il montre vite des signes de stress hydrique sur fil de crête, notamment les années d’été brûlant comme 2022 ou 2003.
  • Exposition aux maladies : Sensibilité accrue à l’oïdium dans certaines années, modérée au mildiou, et à surveiller en cas de pressions de botrytis lors des récoltes tardives ou des vendanges sous la pluie.

Comportement à la taille et vigueur : un équilibre à manier

Le Melon de Bourgogne se taille principalement en Guyot simple ou double dans le Nantais. Il réagit aussi bien à la taille courte qu’à la taille longue, mais l’équilibre est à surveiller : trop court, on freine la vigueur, trop long, gare à l'emballement végétatif.

  • Sensibilité à l’ébourgeonnage : Le melon aime pointer plus de bourgeons qu’on ne lui en laisse ; certains années, les contournements sont légion !
  • Vigueur : Plutôt modérée, mais dépend du sol et surtout, de l’âge des ceps. Sur jeune vigne, le melon peut vite « monter sur le fil » après un printemps humide et doux.
  • La conduite en palissage favorise l’aération et limite le botrytis, tandis que la taille courte est plébiscitée pour préserver la vigueur sur les vieilles vignes du Pallet.

Rendements, fertilité et gestion de la production

Voici un point souvent source de débat : le melon a une fertilité naturelle assez élevée. On parle facilement de 10 à 12 grappes par cep, avec, sur terroir fertile, des productions qui dépassent les 70 hl/ha si l’on ne maîtrise pas.

  • Rendements officiels : L’appellation Muscadet impose un maximum à 65 hl/ha (voir INAO), mais beaucoup de vignerons visent 50 à 60 hl/ha pour conserver matière et concentration.
  • Vigueur et fertilité florescentes : Le cépage peut générer des grappes compactes, denses, assez lourdes, ce qui augmente la pression du botrytis lors des automnes chauds et humides.

Maîtriser le rendement, c’est donc adapter la taille mais aussi gérer la fertilisation et la vigueur pour prioriser la matière au volume. L’enherbement (naturel ou semé), très développé ces dernières années dans le vignoble, permet d’aider à réguler les excès de vigueur et à renforcer la résistance des ceps aux stress abiotiques.

Résistance et gestion des maladies : le quotidien du vigneron

Le Melon n’a pas la réputation du cabernet ou du sauvignon en termes de résistance. Quelques points à garder à l’œil :

  1. Mildiou : Sensibilité moyenne. Les années humides, la vigilance est de rigueur. Nos vieux ceps finissent souvent par lutter seuls, protégés par l’aération mais sans miracle.
  2. Oïdium : Plus irrégulier, mais une attaque sévère au mauvais moment (début de floraison) peut freiner la récolte. Les traitements obligent à la précision, surtout quand la météo varie entre chaud et humide.
  3. Pourriture grise : Le botrytis affectionne les grappes compactes du Melon, surtout si les vendanges tardent sous la pluie.
  4. Coulure/Millerandage : Sensibilité faible à modérée ; la floraison est rarement un souci, sauf par coups de froid soudain en juin.
  5. Empoisonnement à la cicadelle : Signalé récemment chez nous, notamment dans les vieilles parcelles où la biodiversité est en recul, signalant l’importance du maintien de haies et abris naturels.

Un point notable : le melon supporte assez bien les traitements répétés, mais comme beaucoup, il préfère la douceur d’un été sec pour traverser la saison sans béquilles chimiques. Les essais en bio montrent que des grappes bien aérées et un sol vivant aident énormément à limiter les traitements (voir , résultats 2022).

Particularités physiologiques du Melon de Bourgogne

Voici où les vrais amateurs de cépages s’arrêtent un moment. Le Melon de Bourgogne présente des spécificités qui conditionnent sa conduite :

  • Feuillage : Moyennement dense, limbe entier ou faiblement lobé. Surface foliaire souvent insuffisante pour nourrir des charges excessives en raisin : d’où l’utilité de maîtriser le rendement.
  • Grappes : Petites à moyennes, cylindriques, parfois ailées, assez compactes. Les baies sont rondes, à la peau fine, ce qui rend le cépage vulnérable à la pourriture sur vendange tardive.
  • Racines : Plutôt profondes, ce qui permet une certaine résistance au stress hydrique. Mais attention aux jeunes plantations qui ne "touchent" pas encore la roche mère !
  • Capacité de débourrement secondaire : Le melon réagit moyennement bien à la gelée tardive, mais il rebourgeonne avec vigueur si les dégâts ne sont pas trop importants.

Anecdotes et chiffres-clés du vignoble nantais

Pour mettre en perspective : le Melon de Bourgogne couvre quasiment 90% du vignoble nantais (environ 12 000 ha – chiffres Interloire, 2022). Un chiffre qui fait du Muscadet Muscadet.

  • En 1936, lors de la création de l’AOC Muscadet, on recensait déjà plus de 17 000 ha, preuve d’un enracinement ancien.
  • Des vignes de plus de 50 ans : le melon donne le meilleur de lui-même passé la quarantaine – comprendre ici, des vignes âgées, enracinées, capables de traverser les canicules comme 1976 ou 2003 sans fléchir.
  • Les crus communaux (tels que Gorges, Clisson, Le Pallet) démontrent la capacité du cépage à exprimer le sol : à l’aveugle, un Muscadet du granite n’a rien à voir avec son cousin sur gabbro. L’expérience se vit, pas seulement en laboratoire.
  • L’effet du millésime reste impressionnant : sur 2021, rendement moyen de 38 hl/ha chez les vignerons bio du Pallet, contre 54 hl/ha sur 2018, millésime généreux et chaud.

L’avenir : résilience et adaptation du Melon face aux enjeux climatiques

Longtemps moqué pour son acidité, le Melon de Bourgogne montre aujourd’hui qu’il a, en fait, un sacré potentiel de résilience. Avec le réchauffement, les risques de maturité excessive (baisse d’acidité, aromatique moins franche) commencent seulement à nous occuper sérieusement. La sélection massale, la recherche de porte-greffes résistants (notamment le SO4 ou le 41B, plus adaptés aux sécheresses qu’aux excès d’eau), et la restauration de la biodiversité sont autant de leviers activés dans les parcelles du Pallet.

  • Expérimentation de l’enherbement total : Moins commun encore il y a 10 ans, il devient presque la norme pour conserver la fraîcheur du sol et la structure du raisin.
  • Retour des plantations à haute densité : Sur des microparcelles, pour maximiser la compétition des racines, phénomène qui a fait ses preuves sur les vieilles vignes de Vallet ou de Monnières.
  • Gestion précise des vendanges : Récolte par tries successives, arrivée de petits bacs pour ne plus tasser les baies, et pressurage direct dans la demi-heure lors des canicules : la rigueur agronomique doit suivre l’évolution des défis climatiques.

Ce cépage, entre tradition et adaptation

Le Melon de Bourgogne incarne bien la complexité discrète du vignoble nantais. Capable de survivre là où d’autres cépages auraient plié bagage, il continue à surprendre par son adaptabilité – à la vigne, au climat, et aussi dans nos façons de faire. Il n’a pas l’aura flamboyante de certains cépages stars, mais il force l’humilité et appelle à la patience. De la parcelle aux discussions entre vignerons, il reste ce compagnon exigeant, parfois râleur, mais fidèle – à son terroir et à ceux qui le travaillent.

Pour nous, dans les vignes du Pallet, c’est moins une mode qu’un engagement quotidien : tout comprendre du Melon, c’est aussi se rappeler qu’un « petit » cépage, sur un grand terroir, ne cesse jamais de livrer ses secrets.

Sources : INAO, Interloire, Chambre d’Agriculture Pays de Loire, Vignevin.com, discussions et expériences des vignerons locaux.


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