• Vivre la vigne autrement : le Melon de Bourgogne face au défi climatique

    6 septembre 2025

Un cépage forgé pour l’océan, poussé dans ses retranchements

Au Pallet, le Melon de Bourgogne, c’est l’âme de nos parcelles. Né dans la fraîcheur, élevé dans l’humidité, planté en relief pour échapper au gel, il était autrefois le soldat idéal des hivers nantais et des étés aplatis par les nuages. Mais ce tableau change. Ces vingt dernières années, la météo n’est plus celle qu’on a connue enfants : davantage de coups de chaud, des orages plus irréguliers, et le vent du large qui, même lui, semble plus tempéré.

On ne va pas tourner autour du pressoir : la tendance lourde, c’est que la Loire Atlantique gagne 1,5 °C depuis 1950 (source : France3 Pays de la Loire). Des chiffres, oui, mais aussi des faits concrets : des vendanges qui se rapprochent de la mi-août, alors qu’on n’en parlait pas il y a quinze ans, des épisodes répétés de sécheresse sur sols sablo-graveleux ou de gel printanier, et même, pour la première fois en 2022, un record de 41°C enregistré à Nantes (source : Météo France).

Du bourgeon à la vendange : comment réagit vraiment le Melon ?

Bourgeonnement, floraison et sensibilité au gel

Le Melon de Bourgogne débourre tôt ; cela n’a rien de neuf. Mais avec des mois de février/mars plus doux, les bourgeons pointent leur nez en avance, exposant nos vignes à la dent du gel tardif dont on pensait s’être protégés il y a une génération. Sur le millésime 2021, un froid sec en avril a grillé jusqu’à 30% des bourgeons sur certaines parcelles du Pallet, du jamais-vu (source : Fédération des Vins de Nantes).

Risque hydrique : un stress et des arômes transformés

Le Melon aime l’eau, il la canalise dans ses gros grains serrés. Avec les canicules et les sécheresses de plus en plus franches sur juin/juillet (deux épisodes de sécheresse "sévère" depuis 2018 dans le vignoble nantais, selon Institut Français de la Vigne et du Vin), le stress hydrique commence à modifier la donne :

  • Grains plus petits : concentration accrue, moins de jus.
  • Rendements en dent de scie : -20% de volume en 2022 et 2023 sur la rive de la Sèvre, avec des pics sévères sur sol maigre.
  • Arômes modifiés : le traditionnel “pierre à fusil” laisse place à des notes plus mûres, parfois sur le fruit jaune, même en absence de botrytis.

Phénologie : précocité à tous les étages

Ceux qui sont là depuis longtemps l’affirment : les cycles de la vigne s’accélèrent. Voici comment la phénologie du Melon évolue sur vingt ans dans le Muscadet Sèvre-et-Maine (source : Chambre d’agriculture Pays de la Loire) :

  • Débourrement : avancé de 6 à 9 jours (comparaison 1995/2005 vs 2015/2023)
  • Floraison : avancée de 8 à 12 jours
  • Vendanges : jusqu’à 15, voire 20 jours de précocité sur certains millésimes (2018, 2022)

Moins d’écart thermique entre nuits et jours, et une maturation qui, parfois, se joue lors des gros coups de chaud d’août. Cette précocité pose vite la question du bon équilibre entre sucre et acidité.

Plus de sucre, moins d’acidité ? Des équilibres à réinventer

Quand le Melon court après sa fraîcheur

Un Melon réussi, c’est cette acidité tendue, presque nerveuse, qui fait saliver. Or, en 2022, plusieurs analyses de moûts du Pallet affichaient des acidités totales sous les 4,5 g/L (en H2SO4) dès début septembre, alors qu’on était au-dessus de 5,5 g/L il y a quinze ans à la même époque (source : Laboratoire Dubernet). La perte d’acidité, couplée à une hausse de sucres naturels dans le raisin (+15 à +20 g/L de plus en 20 ans selon IFV), chahute le style classique du Muscadet :

  • Des degrés naturels jamais vus : sur 2020 et 2022, la plupart des parcelles du Pallet sortaient à 12,5 voire 13% d’alcool potentiel, alors que le standard régional flirte historiquement avec les 11,5%.
  • Moins de vins ciselés, plus de rondeurs : certains lots, sur granite, offrent désormais des vins presque amples, ce qui était rare autrefois.

Ces évolutions plaisent à une partie du marché, mais interrogent sur l’identité à long terme de l’appellation.

La lutte contre l’eau... et pour elle : stress, maladie et outils du quotidien

Maladies du bois et pressions nouvelles

La sécheresse pèse sur la vigueur du Melon, mais paradoxalement, l’humidité plus concentrée en fin d’été favorise le développement de maladies. Esca, Eutypiose, Black dead arm… Sur le Pallet, des enquêtes menées en 2023 (IFV) font état d’une perte de 7 à 10 % de surface productive par an en moyenne sur certains domaines anciens. La vigne, plus stressée, résiste moins et récupère moins bien.

Gestion du feuillage et de la canopée

L’approche a changé dans nos rangs. Plus question de trop rogner : on laisse de la feuille pour protéger les grappes du soleil direct. Ébourgeonnage modéré, tressage, gestion de la hauteur pour limiter la brûlure sur août. Pour les années extrêmes (2019 et 2022), certains ont même envisagé de repartir sur une orientation partielle nord-sud sur les nouvelles plantations, pour éviter le rayonnement le plus violent de l’ouest.

Solutions testées, réussites et ratés

  • Enherbement maîtrisé: il favorise la vie du sol, limite le stress hydrique si bien géré au printemps, mais aggrave la concurrence en été sec. On jongle selon la météo de l’année.
  • Labours superficiels: veulent piéger les dernières pluies du printemps, mais exposent à la battance en cas d’orages violents.
  • Matériel végétal: multiplication par sélection massale de pieds moins précoces (tests menés en lien avec l’INRAE d’Angers depuis 2018), premiers résultats prometteurs, mais la vigueur et la résistance fongique restent à surveiller.

Entre fidélité et adaptation : quelles pistes pour demain ?

Retour d’expériences du terrain

On se pose beaucoup de questions à la pause, dans les vignes ou à la cave. Garder le cap sur les traditions – vendanges manuelles, élevage sur lies – ou jouer franchement la carte de la transformation ? Chez certains, on teste :

  • Des couverts végétaux d’inter-rangs pour stimuler la vie microbienne.
  • La plantation en gobelet (au lieu du palissage) pour certaines vieilles parcelles, réduisant l’exposition des grappes au soleil brûlant.
  • Un retour à la vendange nocturne sur les millésimes les plus chauds pour préserver la fraîcheur des moûts.

Mais toujours avec une idée fixe : le Melon doit rester lui-même.

Les recherches en cours et leur état d’avancement

  • Clones résistants au stress hydrique : collaborations entre la Chambre d’Agriculture et l’INRAE ; sélection massale sur 20 ha pilotes depuis 2021.
  • Gestion des porte-greffes : essais sur 3309C et 101-14, plus tolérants à la sécheresse, avec des résultats intéressants sur la survie en cas d’épisodes caniculaires.
  • Sols vivants : observation de la régénération microbienne après passage à l’agroforesterie sur 8 domaines du Pallet. Premières données : une meilleure infiltration de l’eau, une acidité des moûts légèrement mieux préservée.

À suivre de près. On guette aussi l’arrivée de cépages complantés, mais pour nous, dans le cœur du Muscadet, le Melon reste le patron.

Et alors, quel visage pour le Muscadet demain ?

Le Melon de Bourgogne ne capitule pas. Face à ce climat qui cogne et dérègle, il vit à une vitesse nouvelle et nous oblige à être plus attentifs, plus inventifs et sans doute plus humbles. S’il a pu traverser la suppression des bouilleurs ambulants, le phylloxéra, la mécanisation, il peut épouser une terre qui se réchauffe, à condition qu’on l’y accompagne avec bon sens – et quelques audaces mesurées.

Ce vignoble, au Pallet comme ailleurs sur la Sèvre, reste vivant justement parce qu’il bouge, essaye, se trompe, recommence. Le Melon, ce n’est pas un cépage caméléon, mais il est aussi têtu et résilient que ceux qui le cultivent.

Pour suivre de près comment il continuera d’affronter le climat, il suffira de goûter, au fil des ans, ce petit goût salin et entraînant que seuls certains coins du Pays nantais savent garder envers et contre tout.


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