• Melon de Bourgogne : des ceps bourguignons aux coteaux nantais, la véritable odyssée d’un cépage

    22 août 2025

Un cépage venu du cœur de la Bourgogne

Tout commence en Bourgogne, bien loin du Pays nantais. Le Melon de Bourgogne est issu d’un croisement entre le Pinot blanc et le Gouais blanc (Vitis-Planet). Le Gouais, déjà parent de nombreux cépages emblématiques, a donc donné lui aussi une descendance prolifique. Mentionné sous le nom de « Melon » dès le Moyen Âge, le cépage faisait partie de la mosaïque viticole bourguignonne, mais il ne possédait ni la finesse ni l’aura du Chardonnay ou du Pinot noir. Son destin semblait discret, limité à la Bourgogne, jusqu’à ce qu’une catastrophe bouleverse la donne…

Le gel meurtrier de 1709 : tournant pour le vignoble nantais

L’hiver 1709 reste gravé dans toutes les mémoires vigneronnes. Du 6 au 24 janvier, le froid s’abat avec une violence inédite sur la France. Les températures plongent jusqu’à -20 °C dans la Vallée de la Loire (Météo France), détruisant massivement les ceps. À Nantes et dans sa région, près de 90 % du vignoble est anéanti. Cet hiver apocalyptique ouvre la voie à un grand bouleversement : il faut replanter, et vite.

Dans l’urgence, on cherche un cépage résistant au froid, productif, capable de donner du vin blanc à la fois acide, léger et prêt à voyager jusqu’à l’Angleterre. C’est à ce moment-là que le Melon arrive. On l’importa de Bourgogne, sous la main d’œuvres de vignerons bourguignons déplacés pour l’occasion. Depuis Clisson jusqu’à Vertou, les ceps se plantent à toute vitesse pour rétablir la production nantaise, très précieuse pour l’économie locale.

Même à Nantes, il a fallu s'adapter

Le Melon de Bourgogne s’est si bien acclimaté à nos terres qu’on le croirait autochtone. Pourtant, il n’était pas l’unique choix possible : d’autres cépages comme le Chenin, le Folle Blanche (la base du Gros Plant) ou même le Moreau luttaient pour dominer les nouvelles plantations. Mais le Melon offrait trois avantages décisifs :

  • Une excellente résistance au gel : les épisodes froids sont fréquents dans la région nantaise, surtout au début du XVIIIe.
  • Une belle adaptabilité à nos sols sableux et caillouteux, très différents de ceux de la Bourgogne.
  • Une productivité intéressante, sans trop sacrifier la qualité : il permet à la fois de remplir les greniers des négociants et de répondre à la soif de l’Angleterre pour les « Petits vins blancs ».

Très vite, la répartition s’installe : la Folle Blanche reste la reine du Gros Plant, le Chenin (qu’on appelle alors plant d’Anjou) recule vers l’amont de la Loire, et le Melon s’empare des coteaux nanta is. À la fin du XVIII siècle, c’est le cépage qui couvre la majorité des hectares autour de Nantes.

Un cépage moulé par le fleuve et les hommes

On ne peut pas comprendre la réussite du Melon ici sans parler de la Loire. Le fleuve, par ses brouillards, ses courants d’air, ses alluvions, a façonné le sol et le climat local. Le Melon, cultivé en gobelet ou palissé en hautain dans sa version bourguignonne, a dû être adapté. Ici, on taille plus court, on adapte la densité des plantations (6 500 à 7 000 pieds/ha fréquemment dans l’ancien temps, source Muscadet.fr), et on ajuste les méthodes face à la vigueur du cépage.

L’autre paramètre, c’est le goût du marché. Pendant plus d’un siècle, le commerce avec l’Angleterre, la Hollande (où l’on utilise les Muscadets pour couper les vins plus costaux), puis Paris pousse à produire des vins légers, vifs, exportables. Le Melon s’inscrit dans cette logique : il fait du vin blanc très acide, neutre, prêt à traverser la Manche sans tourner vinaigre.

Changements d’image et batailles de reconnaissance

Le Melon de Bourgogne n’a pas eu la vie tranquille. Dès la fin du XIX siècle, il subit de plein fouet l’arrivée du phylloxéra. Les replantations, cette fois, se font prudemment, avec porte-greffes américains. Hésitations, expérimentations : la Folle Blanche ou le Melon ? Mais ce dernier tient bon et reste, dans les années 1930, la base du Muscadet officiel (AOC Muscadet 1937, INAO).

  • En 1880, on recense 28 000 hectares de vignes autour de Nantes, dont plus des deux tiers en Melon.
  • En 1950, le Muscadet couvre encore 20 000 hectares, aujourd’hui il tourne plutôt autour de 7 000 hectares (Vins Val de Loire).
  • Depuis 1984, mention « Melon de Bourgogne » autorisée sur l’étiquette, mais restée rare (et souvent réservée à l’export).

Longtemps considéré comme un cépage « neutre », c’est l’expression du terroir, du travail sur lies, et de la diversité des crus qui lui ont redonné droit de cité dans le monde des grands vins blancs. Le Melon, ici, c’est du granit, du gneiss, de la schiste, du sable : il s’exprime selon la parcelle, le millésime, le soin (et parfois les caprices) du vigneron.

Saveurs Nantaises, souvenirs bourguignons : histoire et anecdotes

Il y a chez les vieux vignerons une fierté d’avoir su transformer un exilé bourguignon en prince ligérien. Plusieurs anecdotes circulent :

  • À la fin du XVIII, les négociants nantais dégustaient le Muscadet « sur lie » sans le savoir, car les fûts partaient pour l’Angleterre directement après fermentation… Les Anglais appréciaient l’aromatique fraîche et la petite effervescence de jeunesse.
  • En Bourgogne, le Melon fut progressivement arraché au profit du Chardonnay. Aujourd’hui, il n’est quasiment plus cultivé là-bas (moins de 15 ha recensés en 2023, contre 7 000 ha dans le Muscadet).
  • Un vieux proverbe disait au Pallet : « Au Melon, la pluie fait du vin, le soleil fait du grand. » On n’a jamais vraiment su s’il venait de Clisson ou de plus loin, mais il dit tout de la variabilité du cépage.

À chaque cru, son Melon : où en est-on aujourd’hui ?

En 2024, le Melon de Bourgogne reste le roi de la région nantaise, présent à la racine de chaque cru du Muscadet : Sèvre-et-Maine, Coteaux de la Loire, Côtes de Grandlieu. Mais il est loin d’être monolithique. Sur les pentes du Pallet, du Landreau ou de Monnières, on trouve des expressions radicalement différentes, du plus cristallin au plus charnu. Le travail en bio, biodynamie ou l’apparition de nouveaux élevages (foudres, amphores…) renouvellent la donne.

Étonnamment, le Melon sort timidement de sa Loire : un peu tenté sur la côte Atlantique, jamais ailleurs vraiment.

Élément Chiffres récents Source
Superficie plantée dans le Muscadet Environ 7 000 ha Vins Val de Loire
Superficie hors Loire <150 ha FranceAgriMer
Historique en Bourgogne <15 ha BIVB
Date d’apparition dans le Nantais 1710-1720 Dictionnaire historique du vignoble nantais

Pour la suite… l’identité du Melon comme patrimoine vivant

Raconter l’origine du Melon de Bourgogne, c’est croiser le chemin de la Bourgogne, du gel, de la Loire, du commerce, de l’adaptation paysanne. Ce cépage, arrivé ici par nécessité, continue de porter—année après année—tout un paysage, des styles de vins très variés, et la mémoire de l’audace nantaise face à l’adversité. Les nouvelles générations poursuivent l’histoire : recherche de meilleures maturités, sélection massale, retour aux vieilles parcelles… à l’image d’un vignoble toujours en mouvement, qui n’a jamais oublié ses racines voyageuses.


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