• Vendanges au Pallet : Ce que le climat nous souffle… et ce qu’il ne dit pas

    18 juin 2025

L’avenir du raisin : boule de cristal ou station météo ?

Anticiper la date des vendanges, c’est un vieux rêve. Tous ceux qui ont gratté la terre, scruté le ciel, caressé les feuilles du matin jusqu’à la tombée du jour, s’y sont essayés. Surtout ici, au Pallet, où le climat joue souvent au chat et à la souris avec nos vignes. La question paraît simple : peut-on vraiment prévoir les vendanges grâce aux données climatiques ? Mais derrière sa simplicité, elle cache tout un tas de tiroirs à ouvrir.

Les données météo, les courbes de températures, les précipitations, le “degré-jour” ou encore l’angoisse de la prochaine grêle, sont devenus des compagnons du vigneron moderne. Plus question de s’en remettre au seul “pif” du grand-père, même s’il savait sentir le raisin entre ses doigts. On va donc voir ce que les chiffres racontent… et ce qu’ils ne racontent pas.

Que dit la météo, année après année ?

Le vignoble du Pallet appartient à l’aire du Muscadet Sèvre et Maine, coincée entre Loire et océan. Climat océanique, influence de la Loire, sols drainants… Si l’on s’en tient aux chiffres, depuis 30 ans, la température moyenne annuelle a gagné près de 1°C sur la zone de Nantes (Météo France). La date de floraison de la vigne, qui allait traditionnellement de début juin à mi-juin, a aussi tendance à avancer. Résultat : les vendanges aussi prennent de l’avance.

  • Vendanges 1988 : débutées mi-septembre
  • 2003 : vendanges record, lancées dès fin août
  • Moyenne 2010-2023 : premiers coups de sécateur souvent autour du 1er septembre

Là où, dans les années 1990, on ne parlait de vendanges précoces que deux ou trois fois la décennie, c’est désormais la norme. L’accélération sur la maturité du raisin ne fait plus aucun doute, du moins sur la tendance.

Le “degré-jour” : la boussole du vigneron

Pour objectiver le ressenti, une méthode a été adoptée quasiment partout : le calcul des “degrés-jours”. On additionne les degrés quotidiens au-dessus d’une certaine température (le plus souvent 10°C), du débourrement jusqu’à la maturité. À 1 600 à 1 800 degrés-jours, le Melon de Bourgogne arrive généralement à maturité. Depuis 20 ans, il n’est pas rare que ce seuil soit atteint 10 à 15 jours plus tôt qu’auparavant dans la région (Bulletins Agro-Météo région Pays de la Loire).

  • 1950-1980 : maturité atteinte autour du 15 au 20 septembre
  • Depuis 2010 : maturité parfois dès la dernière semaine d’août

La courbe est nette. Pourtant, est-ce que cela permet de caler “pile” la date des vendanges sur une prédiction au printemps ? Pas si vite.

Les limites de la prévision : l’exemple des “années surprises”

Certains millésimes désarçonnent tout le monde, chiffres compris. Prenez l’année 2021 : printemps glacial, gel d’avril, floraison très tardive… puis mois d’août frais et humide. Au final, vendanges plus tardives, rendement garrotté par le gel, alors que le calcul de degrés-jours semblait, en juin, promettre une année “dans la moyenne”.

Autre exemple, 2016 : la quasi-totalité du printemps balayée par la pluie, menace de mildiou, un été chaud rattrape le coup et donne une vendange à peu près normale. Tous les calculs sont à reprendre en cours de route.

On observe à travers l’histoire des vignes du Pallet (statistiques Chambre d’Agriculture Loire-Atlantique ; Chambre d'Agriculture 44) :

  • 80% des avancées ou retards sont dus à la somme de température
  • 20% sont impactés par la pluviométrie, l’ensoleillement, ou des incidents (gel, grêle, sécheresse…)

Le climat donne la direction, pas la destination exacte.

Où trouver les “bonnes” données pour mieux décider ?

Aujourd’hui, tout le monde y va de sa technologie : capteurs météo sur parcelles, relevés GPS, stations partagées, modèles numériques… Les vignerons du Pallet, comme beaucoup, croisent les sources :

  • Historique météo de Météo France (températures, pluvio, ensoleillement)
  • Données “parcelles” connectées (capteurs de température et humidité du sol)
  • Echanges sur les bulletins techniques du Syndicat du Muscadet et de l’Institut Français de la Vigne

Concrètement, observer la floraison sur chaque parcelle reste la clé : l’ancien dicton dit “100 jours après la fleur”. Mais ce n’est qu’une moyenne, dans la réalité, il faut ajuster, observer la maturité jour après jour. Les visites quasi-quotidiennes dans les rangs restent le juge de paix.

L’effet millésime : petit grain, grande histoire

La date de vendange, c’est une chose. Mais la qualité est tout aussi tributaire du climat… et parfois d’une série de journées. Prenez septembre 2018 : été caniculaire, maturité rapide, mais trois jours de pluie juste avant vendange, ce sont les taux d’acides qui fluctuent et, par endroit, on frôle le botrytis (la pourriture noble attendue dans d’autres régions, bien moins chez nous !).

Statistiquement, sur 50 dernières années, on observe dans le Muscadet :

  • Avancée de vendanges moyenne de 12 jours par rapport à la période 1970-2000 (Vitisphère 2022).
  • Écart type de 8 à 12 jours selon les années pour une même parcelle (source IFV Muscadet).

Ce qui veut dire que l’anticipation se heurte toujours à une variable de 10 à 15 jours selon le comportement du millésime.

Anticiper, oui… mais à quel prix ?

Certes, on rêve de programmer les vendanges comme un agenda Google : une date, une heure, roule ma poule. Mais anticiper, c’est accepter une certaine marge d’incertitude, le “risque métier”. Récolter trop tôt, on sacrifie l’aromatique, la rondeur ; trop tard, c’est l’acidité qui file et le risque sanitaire qui grimpe.

Les incidences sont concrètes :

  • Risque économique : mauvaise date, baisse des qualités, moins-value sur le vin (impacts mesurés à 12-18% du prix de vente selon InterLoire, 2021).
  • Organisation humaine : prévoir les équipes de vendangeurs, la logistique, les pressoirs.
  • Gestion sanitaire : plus le délai est long, plus le risque de maladies augmente (botrytis, oïdium…)

C’est pourquoi, chaque année, l’anticipation devient un compromis entre climat, maturité réelle, pressions de l’urgence… et intuition.

Microclimats et cartographie de la maturité : le Pallet dans la diversité

Le Pallet, ce ne sont pas des dizaines d'hectares plats, homogènes. Il y a les pentes, les bords de Sèvre, les plaques de gravelles, les argiles, les crêtes proches des bourgs… Chacune de ces zones a sa propre dynamique. Les écarts entre secteurs peuvent aller jusqu’à 8 jours entre les premiers raisins mûrs sur arènes granitiques très drainantes et ceux des fonds humides proches des ruisseaux.

La cartographie des températures sur 10 ans (Projet ClimaVigne ; Chambre Agriculture 44, 2020) montre :

  • Jusqu’à 2°C d’écart entre parcelles exposées plein sud et celles en versant nord.
  • Des différences d’humidité du sol qui jouent sur le décalage de maturité de 3 à 5 jours.

C’est là que la main de l’homme reprend sa place. Décider de la date de vendange, c’est croiser la météo, l’état du raisin, l’évolution sanitaire, parcelle par parcelle.

L’histoire dans le verre : petites histoires à la vendange

Certains souvenirs traversent encore les conversations de la pause-casse-croûte. En 2012, un samedi matin, le brouillard se dissipe, tout le monde devait attaquer lundi… Coup de chaud dimanche, maturité explosée : ceux qui ont attendu ont gagné ; les autres, des acidités trop hautes à passer. Les chiffres prévoyaient “vendange mardi” ; la réalité, c’était “vendange hier”.

Autre millésime, 2015 : débourrement précoce et coup de froid en juin, grosses craintes, retard annoncé… puis un été de rêve, avance sur tout, vendanges précoces. Aucun modèle n’avait prévu le virage.

Les anciens, même les plus technophiles, sourient quand on sort les datas : belles courbes, mais quand le climat rudoie le vignoble, rien ne vaut l’expérience collective. Les SMS qui fusent, les coups de fil, le bouche-à-oreille dans les rangs.

Le numérique, utile… mais jamais sans l’humain

Pour anticiper les vendanges au Pallet, le numérique apporte une aide précieuse. Les “alertes” du capteur, la courbe des températures, la météo à 10 jours : tout ça, c’est devenu indispensable, surtout sur les grandes exploitations. Mais la décision de lancer la machine, de crier “C’est l’heure !”, repose toujours sur ce mélange de chiffres, d’expérience et, oui, de flair.

  • La connaissance du parcellaire
  • L’état sanitaire du vignoble
  • La relecture du calendrier des années passées
  • L'écoute des conseils échangés entre voisins

Le climat change, les données affinent notre compréhension. Mais la décision, elle, se vit toujours au cœur des vignes.


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