• Vendanges précoces et nuits trop douces : la viticulture au Pallet chamboulée par le climat

    12 juin 2025

Un nouveau rythme pour la vigne : début, fin, tout change

Le calendrier viticole, c’est un peu la colonne vertébrale de notre métier. Semaines après semaines, génération après génération, le rythme était le même : débourrement fin mars, floraison mi-juin, vendanges courant septembre. Ce schéma, on le croyait immuable, presque naturel. Mais depuis une vingtaine d’années, tout s’accélère — et ce n’est pas du folklore.

D’après l’INRAE et l’IFV, la moyenne des dates de vendanges dans le vignoble nantais a avancé d’environ 20 jours par rapport à la période 1970-1990 (Vigne Vin Publications). Rien qu’en 2003, un millésime gravé dans nos mémoires, on a commencé à récolter nos Muscadets début septembre, là où jadis septembre sonnait à peine la véraison (le début du changement de couleur des raisins).

  • Le débourrement : Au lieu d’arriver mi-avril, il s’invite parfois dès la dernière semaine de mars.
  • La floraison : Déjà constatée dès fin mai lors des années les plus chaudes (2018, 2022).
  • La véraison : Plus précoce aussi, parfois autour du 20 juillet.

Ce glissement du calendrier, c’est du concret. Vivre à la vigne, c’est entendre sonner l’aube plus tôt, organiser la taille quand les bourgeons sont encore endormis, surveiller la météo obsessionnellement.

Pourquoi ce décalage ? Les chiffres ne trompent pas

Tout se joue sur deux fronts : la température moyenne et la pluviosité. D’après Météo France, sur la Loire-Atlantique, la température annuelle moyenne a pris 1.2°C depuis 1959, et les vagues de chaleur entre avril et septembre sont aujourd’hui trois fois plus fréquentes qu’il y a 30 ans (Météo France).

  1. Chaleur printanière : Elle fait démarrer la vigne plus tôt. Entre 1991 et 2020, la date de débourrement du Melon de Bourgogne a avancé en moyenne de 10 jours (source : CHANGINS-Agroscope).
  2. Stress hydrique l’été : Les précipitations estivales se font plus rares. Sur la décennie 2010-2020, juin et juillet ont été 20 à 35 % plus secs que la période 1961-1990 (DREAL Pays de la Loire).

Ces conditions “forcent” la vigne, qui se dépêche de finir son cycle avant la canicule d’août. Conséquence : nos raisins mûrissent vite, parfois trop.

Avancer les vendanges : casse-tête ou opportunité ?

Vendanger tôt, c’est éviter les soucis de pourriture, mais ce n’est pas sans risques. Le cœur de la question, c’est l’équilibre sucre/acidité dans le raisin.

  • Plus de sucre tôt : Les raisins, “boostés” par le soleil, engrangent du sucre rapidement. Des 10,5-11° potentiels jadis la norme, on atteint facilement 12 voire 13,5°, même en Muscadet (source : Vitisphere).
  • Acidité en baisse : Qui dit maturité rapide dit moins d’acidité, surtout en fin de cycle quand la chaleur persiste la nuit. Or le Muscadet, c’est sa fraîcheur qui le fait briller.

Résultat : il faut parfois vendanger “à la minute près”, sous peine de se retrouver avec des jus déséquilibrés. Certains millésimes récents, comme 2018 ou 2022, ont été des courses contre la montre.

Du côté des anecdotes, nombreux sont les vignerons du Pallet à se souvenir du 27 août 2020 : premiers raisins cueillis, du jamais vu ! Un collègue se souvient avoir dû appeler en urgence son équipe, prise de court par cette précocité record.

Les autres métiers du vin aussi impactés

Le réchauffement climatique, ce n’est pas juste une histoire de vignerons penchés sur leurs ceps. Les tonneliers, par exemple, voient le bois évoluer avec plus de sécheresse ; les transporteurs modifient les horaires pour éviter la chaleur sur la route (Terre de Vins). Même les œnologues, dans leur laboratoire, jonglent avec des acidifications plus fréquentes.

Des méthodes de travail à repenser

Face à ces bouleversements, le monde viticole n’est pas resté les bras croisés. Plusieurs leviers sont actionnés, chacun selon ses moyens et sa philosophie.

  • Repenser la taille : Laisser plus de bourgeons, retarder la taille ou choisir la taille “guyot poussard” pour limiter la vigueur trop précoce.
  • Adapter la conduite de la vigne : Hauteur du feuillage augmentée pour protéger les grappes du brûlant soleil de juillet.
  • Soigner le sol : Couvrir les sols de couverts végétaux pour retenir l’humidité. Les essais de trèfles, vesces, fétuques, testés ces dernières années offrent de vrais résultats sur la fraîcheur du sol.
  • Réfléchir aux cépages : Même si le Muscadet règne en roi, certains essaient la Folle blanche ou le Pinot Gris pour voir s’ils résistent mieux au stress hydrique, comme le rapporte le INRAE.

Le pari des porte-greffes et de l’irrigation raisonnée

Côté porte-greffes, les choix s’affinent. Certains s’orientent vers le 110 Richter, plus tolérant à la sécheresse, au lieu du traditionnel SO4. Quant à l’irrigation, elle reste très marginale ici (à la différence du Sud), mais la tentation grandit lors de printemps très secs.

L’avenir : tout va-t-il se jouer en cave ?

Pour compenser la baisse d’acidité et la montée des degrés, la cave devient un terrain d’expérimentation. Les récoltes plus précoces, le choix de vendanger la nuit, l’utilisation de levures sélectionnées, tout est question d’ajustement. Mais il y a des limites : l’identité du Muscadet, sa typicité, ne peuvent pas être remplacées par la chimie ou la technologie.

  • Acidification : Une pratique encadrée, possible, mais qui suscite débat dans le vignoble.
  • Protection à la vigne : Filets d’ombrage, irrigation d’appoint… Des expérimentations émergent mais questionnent sur leur impact sur le terroir et l’environnement.

Le syndicat des vignerons du Muscadet planche aussi sur des adaptations du cahier des charges, pour permettre plus de flexibilité sur les dates de récolte, sans perdre l’âme de l’appellation (Muscadet.fr).

Qu’attendre pour les années à venir ?

Difficile de prédire l’avenir, tant il dépendra d’un climat de plus en plus erratique. Une chose est sûre, selon l’étude Phénoclim-ATMO (2010-2020), le risque de voir se produire des gelées tardives sur une vigne déjà débourrée augmente. Le cumul d’anomalies (doux en mars, chaud en juillet, sec en août) demandera aux viticulteurs d’être toujours plus réactifs et inventifs.

Des pistes sont explorées à l’échelle collective : intrants moins nombreux, tours anti-gel, vinification en amphores pour préserver la fraîcheur, retour à quelques gestes d’antan, mais aussi l’appui scientifique. L’INRAE et l’IFV déploient par exemple au Pallet un réseau de capteurs pour affiner les connaissances sur la maturation des raisins et permettre des décisions éclairées à l’échelle de la parcelle.

Longtemps, la vigne du Pallet s’est contentée d’accompagner les saisons. Aujourd’hui, c’est à nous d’accompagner la vigne, de l’aider à s’ajuster à ce qui ressemble à un nouveau calendrier, ouvert et mouvant. Si le réchauffement climatique bouleverse nos repères, il pousse aussi à chercher, à inventer, à transmettre. Dans le quotidien comme dans nos verres, cette adaptation continue, c’est peut-être cela qui, demain, fera la grandeur discrète du Muscadet du Pallet.


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