• Sur cette terre, un patchwork de vignerons, un patchwork de terroirs

    21 mai 2025

Un territoire, mille nuances : comprendre la diversité des sols du Pallet

Le Pallet est situé dans le vignoble nantais, au cœur de l’appellation Muscadet Sèvre-et-Maine. Ici, les cartes des sols sont plus complexes que les plans cadastraux. On y trouve :

  • Des gneiss à deux micas : ils couvrent une large partie du secteur. Roches anciennes, qui donnent des sols acides, filtrants mais pas avares en cailloux. Parfaits pour le melon de Bourgogne, cépage phare du Muscadet.
  • Des orthogneiss : variantes un peu plus riches, aux réserves hydriques un poil supérieures.
  • Des amphibolites : pierres noires et dures, moins courantes, qui apportent aux vins une droiture salivante.
  • Des schistes, parfois mêlés de quartz, qui confèrent tension et finesse aux vins.
  • Des sables argileux, souvent en bas de coteaux, pour des muscadets ronds et gourmands.

Un seul kilomètre peut faire coexister quatre ou cinq types de sols, héritage du vieux socle armoricain. Le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) propose une cartographie et rappelle que “le Muscadet est sans doute l'un des vignobles français au sous-sol le plus complexe" (BRGM, 2021).

Sols et pratiques viticoles : la réponse du terrain

Adapter le travail du sol au millimètre

Le premier truc qu’on apprend ici, c’est qu’on ne travaille pas la terre partout de la même façon.

  • Sur les sables légers : peu de travail, pour ne pas trop déstructurer et laisser vivre la faune microbienne. On paille, parfois on enherbe pour garder l’eau. On veille surtout à ne pas arracher le peu de matière organique existante.
  • Sur gneiss et orthogneiss : labour léger, juste pour décompacter. Un passage de cultivateur suffit. Surtout, on évite d’ouvrir la terre à l’automne : plus de risques de battance et d’érosion.
  • Sur argiles, terrains lourds : certains laissent naturellement l’herbe s’installer, pour éviter de se retrouver embourbés. Là, le travail mécanique est parfois remplacé par de l’effeuillage ou des semis de cover crop.

Des outils aussi différents que la légèreté d’un intercep sur sable, ou la puissance d’une charrue sur des terres plus coriaces. C’est de la mécanique ajustée, “à l’oreille” du sol.

La gestion de l’eau, notre obsession commune

  • En bas de coteaux, zones argileuses, l’eau stagne. On installe des drains, on surélève parfois le rang, on enherbe pour limiter la compétition et l’asphyxie racinaire.
  • Sur pentes caillouteuses, chaque goutte compte, surtout en 2022, année de sécheresse record avec – 40 % de précipitations par rapport à la moyenne décennale d’après Météo France. Là, on limite le désherbage pour conserver une couverture qui épargne l’évaporation, ou on travaille par micro-parcelles, en gardant certaines zones “en jachère technique”.

L’adaptation peut aller jusqu’à choisir une taille moins sévère pour garder plus de feuilles, donc éviter les coups de soleil et limiter le stress hydrique.

Les choix de cépages : le terrain dicte la vigne

Ici, c’est surtout du melon de Bourgogne (95% de la surface — Source : Syndicat des Muscadets, 2023), mais ce n’est pas tout…

  • Melon de Bourgogne : préfère les cailloux, schistes, gneiss. Il y puise fraîcheur et minéralité, qui feront le style des muscadets “taillés” pour la garde.
  • Folle blanche : quelques rangs subsistent chez certains “historiques”. Elle réclame plus d’eau et s’exprime bien sur les parcelles argilo-sableuses.
  • Gamay, cabernet : pour une poignée, sur les terres les plus chaudes, surtout en rebord d’appellation, là où le melon souffrirait.

Certains vignerons plantent des porte-greffes plus ou moins vigoureux selon la parcelle : moins vigoureux sur coteaux drainants, plus toniques en sol profond. Il y a aussi la question des clones : le conservatoire local du melon de Bourgogne (en place depuis 1996) permet de sélectionner ceux qui résistent mieux à la sécheresse ou aux excès d’eau, selon le secteur (Source : IFV Pays de la Loire).

Pratiques phytosanitaires : du cas par cas jusqu’au sécateur

Impossible de calquer une gestion rigide. Heureusement, les années nous forcent à l’humilité. Entre la pourriture grise qui tombe dans les creux et le mildiou qui raffole des vignes ombragées, on s’adapte plus qu’on innove.

  • Sur sable, terrains très aérés : pression fongique souvent moindre, sauf en année très pluvieuse. On peut espacer les traitements, voire les réduire à deux ou trois passages si la météo suit.
  • Sols de schistes ou fonds humides : là, la vigilance est maximale pendant les épisodes de rosée. Une année comme 2018 (froide et humide), jusqu’à 8 passages ont parfois été nécessaires.
  • La biodiversité, partout : haies remises en place, rotations de traitements, essais de décoctions, lâchers d’insectes auxiliaires. Aujourd’hui, 48% du vignoble du Pallet est converti en bio ou en conversion (Source : Agence Bio – 2023), preuve que le respect du vivant commence par une adaptation fine.

Un vigneron du Pallet l’a dit un jour entre deux godets : “Tu peux pas traiter pareil les rangs qui ont de la brise et ceux où la brume stagne. Y a pas de recette.” Pas mieux.

La cave : seules les cuvées issues de micro-terroirs sont mises à part

On pense toujours aux champs, mais l’adaptation continue dans la cave. Ces dernières années, la mise en valeur des “parcelles” singulières ou des “climats”, façon bourguignonne, se développe. Ce n’est plus un tabou d’avoir trois ou quatre cuvées différentes pour autant de terroirs.

  • Élevage sur lie prolongé : réservé aux parcelles de cailloux, où l’acidité naturelle permet un long vieillissement. Le Muscadet Sèvre-et-Maine “Gorges” est typique (schistes, maturation longue, élevage sur lie parfois 36 mois, source : Syndicat des Muscadets Cru Gorges).
  • Assemblages plus ronds : issus de vignes plantées sur des sables ou des argiles, parfaits pour les cuvées “plaisir”, à boire jeunes.
  • Micro-vinifications : Quelques vignerons expérimentent encore, utilisant fûts, amphores ou oeufs béton selon la parcelle d’origine. Le but : préserver l’empreinte du sol dans le vin, pousser le curseur du “terroir” jusqu’en bouteille.

Tout ça, on le partage sans fierté mal placée : ça fait vendre quelques bouteilles en direct, d’accord, mais surtout ça fait parler le coin, ça crée des débats (parfois épiques) à la table de vendange.

L’évolution climatique : quand il faut encore changer la copie

On n’échappera pas au sujet. Entre 1980 et aujourd’hui, le nombre de jours à plus de 30°C a bondi de 13 à 26 par an en Loire-Atlantique (Source : DREAL Pays de la Loire, 2023). Pluies plus rares, printemps précoces, stress hydrique accentué : tout pousse à reconsidérer ce qu’on croyait “acquis”.

  • On retarde parfois la taille, pour éviter la sortie de bourgeons trop exposés aux gels tardifs.
  • On choisit de nouveaux clones moins sensibles à la chaleur.
  • Des essais sont en cours sur la relève du palissage pour augmenter la surface foliaire protectrice.
  • Certains testent aussi des couverts végétaux résistants à la sécheresse (fétuque élevée, trèfle souterrain).

Une chose est sûre : les pratiques qui marchaient il y a vingt ans ne suffisent plus. Le raisin demande de l’eau, il demande du temps, et il faut jouer serré pour ne pas subir la maturité accélérée des dernières années.

Ce que dit la vigne, c’est la terre qui lui souffle

Notre façon d’adapter le travail, c’est surtout de rester à l’écoute. L’œil, la main, ça ne trompe pas. La carte officielle du terroir ne remplace pas la promenade quotidienne dans les rangs avec un sécateur ou les bottes embourbées. C’est parce qu’on connaît chaque coin qu’on ajuste, parfois sans même s’en rendre compte. On bricole, on innove, on discute – tout cela, toujours pour faire parler au mieux cette terre qui nous est autant héritée que confiée.

Les pratiques évolueront encore. Peut-être qu’un jour, les sols du Pallet accueilleront de nouveaux cépages. Peut-être que les machines d’aujourd’hui seront bientôt remplacées par d’autres, moins gourmandes et plus précises. Mais le goût de la différence, cette attention portée à chaque bout de champ, chaque ligne de cailloux : ça, ici, on ne compte pas en années, mais en générations.

Parce qu’au Pallet, l’adaptation, c’est tous les jours, pour que la vigne soit, encore et toujours, au diapason de son terroir.


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