• Quand la sécheresse s’invite au Pallet : Comment nos vignes apprennent à résister

    8 juin 2025

Le climat : des saisons qui bousculent les repères

Les anciens le disent : "On n’a jamais vu ça". Du moins, pas comme aujourd’hui. Depuis 2015, les vendanges au Pallet démarrent presque systématiquement en août ; signe que les sécheresses ne sont plus qu’une parenthèse. En 2022, Météo France a relevé 33 jours de sécheresse consécutive sur notre secteur, avec des records frôlant 40°C sous le soleil de Loire-Atlantique (Météo France).

La Loire qui s’amenuise, les sols qui craquèlent, les ruisseaux invisibles devenus filets d’eau… Oui, la vigne souffre, et nous aussi parfois, devant des ceps qui grillent ou des raisins qui “cuisent” sur pied. Mais dans les rangs, ça phosphore. Pas question de se laisser flétrir.

Adapter la vigne : les choix du sol au greffon

Observer le terroir, redécouvrir ses ressources

Le grand secret n’est pas dans la cave, il est dans nos sols. Ici, entre granites, gneiss et amphibolites, les parcelles réagissent chacune à leur façon. Lors des canicules en 2019 et 2022, les vieilles vignes, souvent sur gneiss, ont montré une résistance surprenante : poussée par des racines qui plongent jusqu’à 4 mètres de profondeur (Vignevin Sud-Ouest).

  • Les vieilles vignes : Leur système racinaire développe véritablement un réseau souterrain capable de puiser l’humidité quand la couche superficielle s’assèche.
  • Repos du sol : Certains laissent des inter-rangs enherbés : non pas nets comme un green de golf, mais avec une flore spontanée. Les herbes protègent du soleil, ralentissent l’évaporation et protègent la vie du sol.

Retour aux greffons adaptés

Face aux coups de chaud, certains vignerons réintroduisent des porte-greffes anciens, qui étaient tombés en désuétude au profit du rendement. Le 110 Richter ou le 161-49C – moins sensibles à la sécheresse – refont leur apparition dans certaines plantations de Melon de Bourgogne. À chaque nouvelle parcelle, la question du choix de greffon revient, et ce n’est plus tabou de privilégier la rusticité à la vigueur.

Le choix de l’enherbement… ou pas

Le débat anime bien des matins sur le Pallet : faut-il laisser les herbes monter ou raser au cordeau ? Le tout “propre”, ce n’est plus dans l’air du temps chez nous. Plusieurs domaines du collectif jouent la carte de la biodiversité des sols, en alternant bandes fleuries et herbes plus hautes selon les années de sécheresse.

  • Enherbement permanent : Cela limite l’érosion, améliore la structure du sol, et favorise la porosité. Mais ça concurrence la vigne pour l’eau en cas de grande sécheresse. Les vignerons observent au cas par cas, et n’hésitent plus à tondre tardivement pour laisser une petite paille préserver l’humidité.
  • Enherbement contrôlé : Certaines années, on désherbe mécaniquement sous le pied, pour éviter que les adventices ne pompent toute l’eau disponible lors des semaines critiques. Cette gestion fine, on ne l’improvise pas : ça demande des yeux sur la parcelle au quotidien.

Une anecdote : lors de l’été 2020, un vigneron du Pallet a laissé pousser une bande de trèfles sur une partie basse du coteau – il a constaté une différence de 1,2° Brix dans la maturité finale du raisin, simplement liée à la fraîcheur préservée par l’enherbement léger.

Gérer l’eau : astuces et bouts de ficelle

Pas d’irrigation, mais une gestion au millimètre

Le Muscadet est, traditionnellement, une terre de pénurie d’eau : ici, l’irrigation est rare, voire interdite sur la plupart du vignoble AOP. On compose donc avec les ressources naturelles et quelques techniques :

  • Chausser les ceps : Après l’hiver, certains pratiquent encore le buttage, c’est-à-dire remonter la terre sur les pieds. Ça protège les racines et retient l’humidité au printemps.
  • Pailler sous le rang : Un retour en grâce dans certaines parcelles : on broie les bois de taille et on laisse la matière organique en surface pour réduire l’évaporation.
  • Tester les paillages alternatifs : Pellicules de miscanthus ou engrais verts broyés font parfois office de paillage naturel, avec un effet positif sur la vie microbienne et la rétention de l’eau dans certains essais menés en Pays Nantais (Vignevin).
  • Sonder l’humidité : Plusieurs collègues investissent dans des sondes capables de mesurer en temps réel l’humidité du sol à différentes profondeurs. Cette technicité permet d’anticiper les stress hydriques et d’ajuster les gestes, par exemple différer certains travaux ou surveiller plus particulièrement les jeunes vignes.

Réorganiser la vigne pour limiter le stress

Il y a des gestes qui comptent au cœur de la vigne :

  1. Adapter la taille : Plutôt courte, elle limite la surface foliaire et donc la transpiration en période de canicule.
  2. Epamprage tardif : Retirer les gourmands plus tard permet de garder un peu d’ombre sur les grappes quand le soleil tape fort.
  3. Effeuillage réfléchi : Sur certaines zones, on préfère aujourd’hui conserver plus de feuilles sur le côté exposé au sud pour protéger le raisin des coups de soleil – alors qu’autrefois l’effeuillage était systématique pour aérer la grappe.

On sait qu’une grappe "cuite" par le soleil, ce n’est pas que de la couleur : l’arôme s’en trouve aussi modifié. Une dizaine de degrés de plus sur une grappe exposée peut dégrader les précurseurs d’arômes du Melon, d’où l’importance de ces détails invisibles pour le consommateur.

Cueillir autrement, décider vite

Vendanges en avance et en équipe

Dans un contexte de sécheresse, la maturité du raisin joue les montagnes russes. En 2022, certains ont démarré les vendanges le 10 août — du jamais vu (Vitisphere). Cela exige de la réactivité, parfois embaucher des équipes au pied levé, mais aussi d’analyser chaque parcelle. Parfois, on fractionne pour rentrer les raisins au plus juste, évitant de perdre en acidité sous un soleil de plomb.

  • Analyses régulières : Plusieurs prélèvements par semaine sur chaque parcelle, pour ajuster le planning jour par jour.
  • Vendanges tôt le matin : Pour garder le raisin frais, certains commencent à l’aube, voire de nuit.
  • Adaptation logistique : Du pressoir au chai, tout doit suivre la cadence des maturités qui s’accélèrent en cas de canicule pour préserver les équilibres naturels du vin.

Quand l’innovation s’invite au vignoble du Pallet

Semis de couverts végétaux d’été : de la fraîcheur sous la vigne

Depuis 2018, quelques domaines expérimentent des couverts végétaux semés juste après la fleur, comme l’avoine rude ou la vesce. La couverture offre une ombre légère qui tempère le sol et limite son échauffement. Résultat ? Un écart d’1 à 2°C, selon les mesures du GAB44 (Groupe d’Agriculture Biologique Loire-Atlantique).

Recherche et entraide

Les réseaux locaux jouent aussi un grand rôle. La Cave des Vignerons du Pallet teste, depuis 2021, des micro-parcelles avec différents itinéraires : enherbement court, paillage, taille douce, irrigation de survie sur jeunes vignes. Les résultats sont partagés en collectif lors des réunions mensuelles, chacun adaptant ensuite les pistes à ses parcelles.

  • Partage d’observations : Concrètement, l’échange d’expériences permet d’éviter les fausses routes : une technique qui a flanché sur granite ne donne pas forcément les mêmes résultats sur amphibolite.
  • Participation à des réseaux de suivi climatique : Des vignerons locaux collaborent avec l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) pour tester de nouveaux indicateurs de stress hydrique adaptés à notre région.

L’humain face à la sécheresse : philosophie et solidarité

Au Pallet, la résilience est parfois une question de philosophie. "On ne peut pas gagner tous les millésimes, mais on peut apprendre à chaque sécheresse", confie un vigneron du collectif. Le manque d’eau pousse à remettre en question bien des certitudes. Accepter que certaines années, le rendement baisse, que la qualité prime sur la quantité, c’est aussi faire confiance à la capacité du terroir à résister sur le temps long.

La solidarité se manifeste lors des vendanges précoces : prêt de matériel, de mains, échanges de pratiques. Certains rachètent aux collègues des raisins mieux pourvus en eau dans une vallée ou sur une veine argileuse, plutôt que de se résigner à perdre la récolte.

Perspectives : comment le vignoble du Pallet aiguise sa résistance

S’adapter à la sécheresse, ce n’est pas courir après des solutions miracles, mais composer avec le vivant. Au Pallet, cela se traduit par une multitude de petits ajustements : tester, rater parfois, persévérer, transmettre. Les sécheresses ne sont sans doute pas prêtes de disparaître. Notre force, ce sont ces gestes humbles et partagés, cette attention constante à la terre et aux hommes, cette faculté à apprendre de chaque été pour mieux affronter le prochain.

Ceux qui vivent la vigne ici le savent : la résilience se cultive aussi dans la patience et la transmission. On n’arrêtera pas le soleil, mais on peut encore apprendre à en apprivoiser la brûlure, ensemble, au cœur du vignoble.


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