• Melon de Bourgogne : Plaine et Coteau, un Monde d’Écarts Sous la Capsule

    2 septembre 2025

Le Melon de Bourgogne, Un Cépage de Terrain

Avant de rentrer dans le dur, remettons les pieds dans le rang : le Melon de Bourgogne, c’est LE cépage du Muscadet. Introduit après le gel meurtrier de 1709 (« Le Grand Hiver », voir Archives départementales de Loire-Atlantique), il remplace alors les anciens cépages plus sensibles au froid. Il couvre maintenant près de 7 000 hectares d’après le CIVC (Comité Interprofessionnel des Vins de Nantes). Côté profil, c’est un cépage peu aromatique de base, mais qui raconte tout du terroir où il pousse.

La Plaine : Grains Généreux et Palette Large

Quand on parle de « plaine », beaucoup imaginent une terre simple, facile, exubérante. Pas tout à fait faux, mais la réalité est plus complexe.

Altitudes et Sols : Les Forces d’Appui

  • Altitude faible: Souvent entre 10 et 40 mètres au-dessus du niveau de la mer.
  • Sols profonds: Faites le test : creusez dans la plaine, souvent vous retrouvez des alluvions, parfois du sable, beaucoup d’argile, du limon.
  • Drainage: La retenue d’eau est généralement plus forte ; la vigne y boit sans se presser.

Des chiffres de l’IFV Pays de la Loire (Institut Français de la Vigne et du Vin) indiquent que les sols de plaine peuvent avoir une réserve utile d’eau supérieure à 150 mm, contre 50 à 80 mm pour les coteaux maigres.

Effets Concrets sur le Vin

  • Vigueur plus marquée: La vigne a tendance à faire plus de feuilles, il faut maitriser pour éviter d’affadir le raisin.
  • Grappes plus grosses: Les grains de Melon y sont plus dodus, la production peut dépasser 60 hl/ha en années généreuses, alors que la moyenne sur les coteaux descend autour de 45-50 hl/ha (Source : Observatoire Muscadet 2020).
  • Acidité moins tranchante: Le sol frais tempère, la maturité arrive avec une forme de rondeur. Le vin y gagne en volume mais perd un peu en nerf.
  • Profil aromatique: Souvent, on parle d’arômes de poire, de fleur blanche, sur la simplicité plus que la complexité.

Risques et Attendus

  • La plaine peut souffrir d’excès d’eau en année humide (2018 : 1230 mm dans le Pays Nantais, source Meteo France), d’où des risques de dilution.
  • Sur les grandes parcelles, la maturité n’est pas toujours homogène.
  • La fraîcheur du sol peut retarder la vendange de plusieurs jours par rapport au coteau.

Coteau : Le Tranchant, la Minéralité, la Main de la Terre

Montez de quelques mètres — 50, 70, parfois 100 m sur certaines collines — et tout bascule. Ici, la pente dirige l’orchestre.

Atouts Géo, Atouts Goût

  • Exposition maximale: Les coteaux bien orientés (sud, sud-est) profitent d’un ensoleillement jusqu’à 200 heures de plus par an qu’une plaine encaissée, selon les relevés Agreste Loire-Atlantique.
  • Sols maigres: Roches-mères affleurantes — granite, gneiss, orthogneiss, amphibolite. Parfois moins de 30 cm de terre.
  • Drainage rapide: L’eau file, la vigne force pour puiser, les racines s’ancrent profond.

Ce que Cela Change dans le Verre

  • Rendements plus faibles: Difficile de dépasser 40-45 hl/ha en coteau maigre (vous voyez tout de suite la différence lors des tris).
  • Concentration naturelle: Moins de grappes, du fruit plus compact, une peau plus épaisse.
  • Minéralité marquée: On retrouve des notes salines, crayeuses, et même une tension que la plaine ne saurait donner.
  • Maturité précoce: Une pente au sud mûrit facilement 3 à 5 jours avant la plaine (Source : Domaine de la Louvetrie, diversité intra-parcellaire, Master Vinitique Université de Nantes, 2019).
  • Vieillissement: Les Melons de coteau supportent mieux les élevages longs sur lies fines, capables de tenir 7-10 ans, quand ceux de plaine s’expriment généralement dans leur jeunesse.

La Main du Vigneron, un Autre Terroir

On n’oublie pas que derrière chaque bouteille il y a des paires de bottes. Sur la plaine, il faut savoir gérer la vigne qui pousse vite — on taille plus court, on effeuillle davantage, on récolte tôt pour préserver la fraîcheur. Sur le coteau, l’effort se fait plutôt dans la sélection — vendanges par tries, faîtes confiance au secateur ! Manquer le bon moment sur le coteau, et c’est tout de suite des degrés en trop et des arômes qui filent.

Anecdote qui ne trompe pas : chez certains vignerons du Pallet, il n’est pas rare de voir deux pressées distinctes dans le chai selon les parcelles, car même récoltées le même jour, la maturité, l’acidité, et la charge en arômes changent du tout au tout.

  • Sur la plaine :
    • Pressurage plus doux, macérations parfois antérieures, pour gagner du relief.
    • Travail sur lies plus court, parfois moins de 6 mois.
  • Sur le coteau :
    • Pressurage lent, élevage sur lies longs, remontages fréquents.
    • Certains osent des élevages de 12 à 24 mois (voir : Observation des élevages longs, ODG Muscadet Sèvre et Maine, 2021).

Microclimats : Quand les Petits Détails Font les Grands Vins

Dans la vallée de la Sèvre, impossible d’ignorer les microclimats. Un fossé, un bosquet, un fil de brume et la maturité dérape. Les coteaux bien exposés profitent d’un rayonnement solaire favorable, plus de ventilation (ce qui limite les maladies), mais sont aussi plus exposés au gel de printemps si la pente conduit l’air froid. À l’inverse, dans la plaine, la chaleur s’accumule différemment, la brume reste plus longtemps le matin. Et c’est là que jouer sur la date de vendange, c’est tout un art.

  • Gelées printanières : En 2021, sur le secteur de la Sèvre et Maine, plus de 120 hectares touchés, surtout sur les bas-fonds (Source : FranceAgriMer).
  • Vents d’est : Ils sèchent les coteaux, accélérant la maturité à la sortie de l’été.

Influx Aromatique et Texture

  • Le Melon de coteau est reconnu pour un grain plus tranchant en bouche, presque « salivant ».
  • Le Melon de plaine plaît aux amateurs de fruits mûrs, de vins ronds faciles à boire sur le fil de l’année.

Le Terroir au Chai, le Chai dans la Bouteille

Pour finir, impossible de ne pas évoquer la dégustation. Des concours comme le Concours Général Agricole de Paris ou les dégustations du Guide Hachette font ressortir cette distinction année après année : sur les millésimes solaires (ex : 2015, 2018), la plaine donne des Muscadet gourmands, parfois en avance sur la maturité, alors que les coteaux tirent leur épingle du jeu en gardant une fraîcheur et une complexité supérieures.

  • Les cuvées parcellaires révèlent très bien ces contrastes (ex : « La Butte de la Roche » au Loroux-Bottereau ou « Clos de la Févrie » à Saint-Fiacre)
  • Certains blancs de coteaux atteignent régulièrement 13% vol. naturel, chose rare en plaine où on tourne autour de 12–12,5%.
  • Le vieillissement sur lies est, d’après les analyses de l’INRAE, 20% plus efficace sur l’extraction des composés aromatiques sur sols maigres (Source : « Influence du sol sur la typicité du Muscadet », revue Progrès Agricole et Viticole, 2020).

L’Écart, Source de Richesse ?

Finalement, la dualité plaine / coteau, c’est la richesse du vignoble. On y gagne en diversité, on trouve chaussure à tous les palais : l’apéro rond du vendredi soir vient souvent de la plaine ; la bouteille patinée, racée, ciselée, c’est le coteau qui la propose. Le tout dans un même village. Et c’est bien pour cela qu’on continue à débattre, à goûter côte à côte, jamais lassés de ce que le Melon peut dire du lieu où il a poussé — une histoire qui se prolonge rang par rang, millésime après millésime.

Pour ceux qui veulent pousser le bouchon plus loin, rien de mieux qu'une dégustation comparative avec un peu de terroir sous les bottes et l’esprit ouvert. La preuve ultime que le Muscadet, on n’a jamais fini de le découvrir, de le comprendre, ni d’en parler.

  • Sources principales : Archives départementales de Loire-Atlantique, IFV Pays de la Loire, INRAE, ODG Muscadet, Observatoire Muscadet, Progrès Agricole et Viticole, Meteo France, FranceAgriMer, Université de Nantes.

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